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Bohuslav Reynek
Petrkov 1892 - Petrkov 1971
Alphabet des poèmes
Angoisse
J’entends une plainte dans l’ombre,
La chatte noire va mourir,
Nul vivant ne peut lui répondre,
Nul ne peut plus la secourir.
Le chagrin me serre le cœur,
À mon front monte une pâleur.
Mais sous ma main une présence
Se glisse : chaleur et douceur ;
Un petit chat blanc, sans défense,
Hôte de paix, de confiance,
Nuage en fleur, poignée de bonheur.
Toujours cette angoisse est la nôtre,
Deux épines percent nos cœurs,
L’espoir est nu comme la mort,
Lequel des deux vêtira l’autre ?
Qui frissonne quand se rencontrent
L’espoir et nous… nous et la mort ?
Bohuslav Reynek : Úzkost
Traduit par Suzanne Renaud
In : S. Renaud, Œuvres [1]. Dílo.
Bodláky
Vidění bodláků
v podzimním oblaku.
Ve větru bodláky dva, tři,
hubení, hladoví bratři,
na brány tlukou čely,
záhy by vejíti chtěli…
Proroci odraní,
vítr je odhání.
Proroci bez rukou,
čely se dotlukou.
Hlavami do krve bíti se nebojí.
Rafie trnité na mraku orloji,
viz Pane, honí hodiny hvězd,
uspíšit chtějí slávy Tvé vjezd,
než vítr večerní ustane
v noci, až do kdy prolkané ?
Bohuslav Reynek
In : Podzimní motýli [Papillons d’automne]
Chardons
Chardons maigres et nus
Compagnons de famine
Dans le vent de l’automne
Cherchant au fond des nues
Des songes et des signes
Heurtant du front la porte
Qu’ils voudraient tant ouvrir…
Prophètes en haillons
Pourchassés par le vent
Sur le bord des sillons
Prophètes des chemins
Qui n’ayant pas de mains
Battez obstinément
La porte de lumière
De vos fronts teints de sang
Votre épineuse aiguille
Qui court avec le vent
Sur l’horloge des nues
Voudrait-elle avancer
Les heures des étoiles ?
Voudrait-elle hâter
La venue de ta gloire
Seigneur au vent du soir
Avant la longue nuit
De sanglots et d’appels ?
Bohuslav Reynek : Bodláky
Traduit par Suzanne Renaud
In : S. Renaud, Œuvres [1]. Dílo
Instant de silence
L’étang coule :
dessus, les foulques,
la forêt bleue sombre,
chaude et proche,
la bonté rose des églantiers
l’entourent.
Mon âme ! comme un petit poisson
tu t’ébats au fond des eaux,
comme un oisillon tu chantes
dans l’odeur humide du bois,
comme aux cheveux d’une fiancée
aux roses sauvages tu donnes un baiser ;
et le lumignon rouge de la douleur
que tu portes toujours sur toi
tu l’as suspendue, au milieu,
avec un sourire…
Bohuslav Reynek : Tichá chvíle
Traduit par Jan Vladislav
In : Bohuslav Reynek – L’image dans l’œuvre poétique et graphique
Jardin
Le jardin au matin, c’est une jungle d’existences ; tièdes et souples les arbres y bourgeonnent, y exhalent une bonne vapeur et les pommiers sont de monstrueux chatons aux mille pattes fleuries de rose qui s’enfoncent pour têter dans les fourrures noires des sapins ; tout en haut s’élancent les flèches des écureuils, plus rousses que feu, et les mésanges y font scintiller leur bleu, vif, clair et phosphorescent. Des coqs de forêt lourds et dorés, les biches blanches de nos rêves, s’y promènent dans les herbes soyeuses, et les parterres de pervenches blotties dans leur buée.
Le jardin à midi est comme un grand ange ayant pris corps, couvert d’un voile de lourde chaleur, semé de grosses pivoines suintant miel et glu, nausée et désespoir de la glèbe. La torpeur y prend un bain de sang, blasphème, ou se moque, ou s’échauffe de luxure. Dans leurs nid, les petits des corbeaux ouvrent tout rond leurs yeux voûtés, aveugles, teintés d’indigo, de démons noirauds.
Le jardin au soir, c’est une immense agate, avec ses veines de regrets et de désirs qui prennent des couleurs que personne n’a jamais pu voir, des teintes de soufre croisées de tons roses et font naître étoiles et cristaux, croix et arabesques éblouissantes, pour s’enraciner enfin dans le plus noir charbon. C’est un immense coquillage en train de se fermer sur son intime lumière, c’est un oiseaux aux reflets de nacre qui s’est blotti dans l’ombre noire pour dormir. De gros vers pareils à des rubans sortent du terreau, les crapauds reprennent vie dans les pierres avec l’abondant venin de leurs boutons, et leurs yeux où paraissent les vénérables et mystérieuses lueurs des cavernes.
Bohuslav Reynek
Traduit par Michel Reynek
In : Verčerní okna – Fenêtres sur le soir
Koleda
Neige, neige, neige. Soir, le soleil se couche. Grands fûts branches nues – les petits épicéas en file sous la neige, simples cônes clairs comme des seins. L’hiver est une louve blanche et hirsute aux pattes noires, couchée – Déesse lascive de fécondité. Elle dresse les pattes (les branches des arbres sont aiguisées comme des griffes) et le soleil pourpre, c’est la langue dans sa gueule ouverte, luisante de sang. Les nuages, chiots gris, se baissent et sucent les mamelles, innombrables et gonflées, de la bête sauvage. La louve – yeux de braise et dents de glace transparente. Sa beauté dépasse l’entendement, elle est couchée à l’entrée de la Crèche de Noël et fait hurler la terrible et parfaite flûte de la faim pour accompagner le psaume des Anges sur la vallée… Fait hurler la musique de la chute et du péché pour accompagner le chant souverain de la paix.
Bohuslav Reynek
Traduit par Xavier Galmiche
In : Had na sněhu – Le serpent sur la neige
Les dernières oies…
Les dernières oies
ont laissé leurs empreintes
sur la première neige
Le dernier arbre roux
suspend ses rameaux
sur la rive blanche
La face du couchant
s’empourpre d’angoisse
L’ange de l’Avent
emporte dans la nuit
les grappes des forêts.
Bohuslav Reynek : Advent v Staré Říši
Traduit par l’auteur
In : Bohuslav Reynek graveur poète
Montmajour
Devant le portique une tourterelle se promène, rose et dorée
comme sa mère la Provence.
Passé le portique, deux chiens qui profitent du soleil, et un chat ;
et une vieille vous montre l’orgueil des tombeaux pillés et dit :
“Mes chiens ne touchent pas à la petite tourterelle, ni mon chat…” Entourée de murs, voici la cour que les arcades surveillent, et au milieu du gazon la fontaine envahie d’un printemps sans fin, et de senteur.
Mais la vraie merveille la voici : la vieille ouvre la porte du réfectoire des moines, il vous en arrive une tiède brume, et vingt, et trente agneaux ou chevreaux lèvent de petites têtes blanches engourdies
et silencieuses, vers cette lumière du dehors. Étrange floraison à demi animale dans l’obscurité grise, ils se tournent un tout petit peu vers le soleil, encore si chargés de la terre et de la nuit dans le giron et le sang. Laine blanche comme clair de lune, des yeux très fonçés… Végétation frôlée par l’air d’un lent réveil, bonne comme un baiser d’enfant sur la joue, et comme le chuchotement de la terre après l’averse. Comme une espérance prenant germe dans un cœur et qui n’a pas encore été effacée. La vieille ferme la porte et le sombre Montmajour cache son plus doux secret, va sombrer dans ses rêveries autour des peines temporelles et éternelles, le sombre Montmajour, le pèlerin dans son jardin d’oliviers, le pèlerin Montmajour avec ses pieds blancs de poussière, ruinés par la vieillesse, la maladie, les déceptions.
Il est triste à en mourir, aimerait tant se souvenir du chant de sa sainte jeunesse, mais tant qu’il fait jour, n’y arrive pas. Avec la nuit seulement.
Bohuslav Reynek
Traduit par Michel Reynek
In : Bohuslav Reynek – L’image dans l’œuvre poétique et graphique
Oiseaux d’hiver
Merles, mésanges, rouges bouvreuils,
je vous salue, secrets piverts,
soleil, azur, sang sur le seuil,
noires clés du manoir Hiver.
Cendres, pâles palombes et pies
pinsons, pêches brunes, feuilles qui frissonnent
comme des peines assoupies
dans les branches blanchies de l’automne
écriture de feu dans le tome
4ème du Livre de vie.
Oiseaux rouges, neige, sombres rets,
verger, drap blanc, ramille noire,
voile déplié et tout prêt
pour nos sœurs du Purgatoire…
Je vous salue, pie, douce Bretonne,
vous, mésange bleue, fille de Bohême.
Âme en croix aime et s’étonne,
veille qui a mal, récolte qui sème.
Sèment leurs cris les oiseaux d’hiver,
Sème… Si le sol est trop aride,
la joie pousse dans l’ornière
des plaies, des crevasses, des rides.
Bohuslav Reynek
En français dans l’original
In : Essais sur le discours de l’Europe éclatée
Première neige
Il neige tout doux — Lentement
Mon jardin se vêt de blancheur.
Comme il est seul ! Comme il est grand !
Comme il est fier en sa douceur !
Dans les branches d’un pommier tors
Un écureuil nous guette encor.
Timide et seul il reste là.
Il est comme une boule d’or
Dans la main de Saint Nicolas.
Bohuslav Reynek : První sníh
Traduit par Suzanne Renaud
In : S. Renaud, Œuvres [1]. Dílo
Rue L…
Le jour est donc bien près.
Dans la rue, dans la brume,
Les gamins vont au lait.
Ne savent rien du matin.
Au voisinage du paradis,
ils n’en rêvent pas pour autant.
Au coin de la croisée
détachent des pièces d’or blanc.
La rue s’éteint à la lumière
dans les paumes des enfants.
Le paysage se perd
dans l’outre-monde.
Seules ici nous restent encore
deux oboles à la croisée
aux lueurs brumeuses d’aurore,
dans la rue, en aval.
Avec nous les emporterons
aux lointains maudits de l’été,
passée l’eau, passé le bois
dans le murmure. Lait, Lethé…
Bohuslav Reynek : Rue L…
Traduit par X. Galmiche
In : Bohuslav Reynek – L’image dans l’œuvre poétique et graphique
Úzkost
V tmách ozvalo se zalkání,
smrt černé kočky volat slyším,
jíž nikdo živý nepomáhá.
Strast k srdci se mi naklání,
tvář bledne hlubinám i výším
a někdo na ruku mi sahá :
mám bílé kotě na dlani,
oddané důvěře a tiším,
květ oblaku a hrstku blaha…
Jsme dvěma ostny prokláni,
smrt útočištěm je vždy bližším,
naděje jako smrt je naha,
kdo kterou spíše oděje ?
Cos trne v každém setkání
nás, smrti, nás a naděje
Bohuslav Reynek
In : Setba samot [Semis de solitudes]